mardi, novembre 15, 2005

REACH : Les lobbies de la chimie s'affairent


"Réglementation Reach : Bataille européenne de lobbies dans la chimie"
LE MONDE | 15.11.05 | 15h10 • Mis à jour le 15.11.05 | 15h16

Dans les couloirs du Parlement européen, le ton monte. "Ça ne vous gêne pas de vendre des produits sans savoir s'ils sont nocifs pour la santé ?", demande Serge Dufour, syndicaliste CGT, à Jean-Claude Michel, qui défend les intérêts de l'industrie chimique française. "Mais enfin, nous sommes des gens responsables, il y a longtemps que nous testons nos produits !", rétorque le lobbyiste, indigné. M. Dufour : "Alors qu'attendez-vous pour livrer les résultats ?"

A Bruxelles, où s'affairent les lobbyistes — avocats des intérêts de l'industrie chimique, défenseurs de l'environnement et de la santé —, et à Strasbourg, où le Parlement européen légifère, une bataille sourde, engagée il y a six ans, doit entrer dans sa dernière ligne droite mardi 15 novembre.Ce jour-là, les eurodéputés débattront d'une réglementation portant sur les conditions d'évaluation des substances chimiques. Nom de code : Reach, acronyme anglais qui désigne "l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques". Jeudi, les députés voteront.

Objectif de Bruxelles : analyser les substances chimiques diffusées sur le marché. Pour y parvenir, un seul moyen. Il faut, aux dires de l'ex-commissaire à l'environnement, la Suédoise Margot Wallström, "inverser la charge de la preuve" quant à la non-nocivité de ces substances. Jusqu'à présent, il revenait aux pouvoirs publics des pays européens d'évaluer eux-mêmes le degré de toxicité des molécules chimiques. Désormais, les fabricants devront procéder à cette évaluation.

L'initiative en revient aux ministres de l'environnement des Quinze. Réunis, en 1999, au Luxembourg, ils constatent que leurs services ne connaissent pas les effets sur l'environnement et la santé des 100 000 substances qui entrent dans la composition d'innombrables produits : lessives, peintures, revêtements de sol, textiles, ordinateurs, etc.

En 2001, la Commission européenne présente les grandes lignes d'un projet (Reach). Préparé par Mme Wallström, mais "tempéré" par son collègue chargé des entreprises, le Finlandais Erkki Liikanen, ce projet modère amplement la dimension d'un contrôle préalable généralisé des molécules. Il ne propose d'évaluer que les seules substances, anciennes ou nouvelles, mises sur le marché en quantité supérieure à une tonne par an ; soit 30 000 seulement (moins du tiers du total). Mais il établit bien que l'évaluation de la nocivité revient aux industriels : à eux de procéder aux essais, déterminés en fonction du tonnage mis sur le marché, et de dire dans quelles conditions leurs produits peuvent être utilisés sans risques.

La réforme est fondamentale. En 1981, l'Union avait mis en place un système de notification obligatoire des substances chimiques. Mais il ne marche pas, car c'est aux autorités publiques que revient le travail d'expertise des résultats. Exemple : l'industriel indique bien quelle concentration de son colorant tue les poissons ; mais ce sont les autorités qui doivent calculer la concentration à ne pas dépasser en cas de déversement dans une rivière. Submergées, celles-ci n'ont pu à ce jour évaluer que 1 200 substances, surles 4 000 qui auraient dû l'être depuis 1981.

D'où la volonté, à Bruxelles, d'"inverser la charge de la preuve". En présentant son projet, Mme Wallström précise que les industriels qui ne se soumettraient pas aux nouvelles règles dans les délais prévus (trois à onze ans) devraient retirer leurs substances du marché.

Branle-bas de combat dans la chimie européenne, qui adopte une stratégie classique. Ses représentants clament immédiatement qu'ils souscrivent parfaitement aux "objectifs" de Reach. Ils veulent juste en "modifier les modalités", jugées "trop coûteuses" et "trop bureaucratiques". "Pas un ne se dit opposé à Reach, mais ils font tout ce qu'ils peuvent pour le saboter !", confie le principal rapporteur du Parlement européen, le socialiste italien Guido Sacconi, qui soutient le projet de la Commission.

A Bruxelles, la chimie est représentée d'abord par le Cefic, le Conseil européen des fédérations de l'industrie chimique (1,7 million d'emplois sur le continent) ; lequel, fort de 150 lobbyistes, défend les intérêts des producteurs. Elle l'est également par l'Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe (Unice), que préside désormais Ernest-Antoine Seillière, l'ancien président du Medef. L'Unice représente à la fois les producteurs et les utilisateurs de chimie : du textile à l'automobile, de l'électronique au BTP, soit 2,7 millions d'emplois. Elle s'est offert les talents d'une pointure en embauchant un ancien directeur général de la Commission, Jean-Paul Mingasson, précédemment en charge à Bruxelles... des entreprises, sous l'autorité de M. Liikanen.

La chimie ne badine pas avec son image. Une anecdote est significative. En 2003, le Cefic a réclamé la suspension d'une bande dessinée, Les Eaux blessées, publiée par le Parlement européen. Elle met en scène une jeune eurodéputée qui cherche à faire adopter une directive protégeant l'eau des pollueurs et que l'industrie chimique accuse de détruire des emplois. Pat Cox, alors président du Parlement européen, a ridiculisé un peu plus l'industrie chimique en faisant diffuser l'ouvrage avec un avertissement :"Toute ressemblance avec des personnages existants serait purement fortuite."

L'industrie allemande étant la plus puissante d'Europe, c'est à Berlin qu'elle trouve ses plus solides appuis. Le chancelier Gerhard Schröder tire le premier. Au Conseil européen de Barcelone, en mars 2002, lors d'un briefing informel avec des journalistes, il prend la défense de la chimie et accuse la Commission, en substance, de ne penser qu'aux services et de saborder l'industrie traditionnelle européenne. Le contexte est alors favorable, avec l'explosion de la bulle Internet, qui remet en cause la focalisation sur les services et la haute technologie.

Un an plus tard, M. Schröder convainc Jacques Chirac et le premier ministre anglais, Tony Blair, d'adresser une lettre commune à Romano Prodi. Pas question, écrivent-ils en substance, de mettre en péril la compétitivité européenne. Les chimistes sont aux anges.

Résultat : la proposition finale de la Commission limitera, notamment, le nombre d'essais de toxicologie sur les substances de 1 à 10 tonnes, qui fournissent les deux tiers des molécules visées par Reach. Motif : elles sont produites essentiellement par des PME et les coûts financiers seraient pour elles trop lourds.

Depuis, le lobby de la chimie essaie de pousser encore son avantage. Au Conseil et au Parlement, qui doivent tous deux approuver le règlement, il est en passe d'obtenir de nouvelles concessions. Les essais ne seraient plus fonction du tonnage mais du "risque" estimé que présentent les substances.

"C'est aberrant ! s'emporte l'eurodéputée Verte française Marie-Anne Isler-Béguin. Comment prédéterminer le risque d'une substance qu'on ne connaît pas ?" Les deux institutions imaginent des critères, plus ou moins bien définis, auxquels les substances devront répondre et, dans certains cas, de confier de nouveau aux autorités publiques le soin de faire les évaluations — ce qui contredit le projet initial de la Commission.

Les associations environnementalistes et les ONG sont furieuses. Leurs structures, qui disposent de moyens dérisoires comparés à ceux des lobbies de la chimie, en sont réduites à monter des "coups médiatiques" pour montrer la nécessité de mieux connaître les substances chimiques pouvant se propager dans les organismes. Le WWF a ainsi "testé" le sang de plusieurs personnalités européennes et y a décelé des traces de "retardateurs de flammes bromés", utilisés dans la fabrication d'ordinateurs.

La Confédération européenne des syndicats, qui représente 60 millions de salariés, a publié une étude, selon laquelle l'adoption de Reach pourrait éviter 40 000 maladies de la peau et 50 000 maladies respiratoires chaque année. Non sans réticence de sa branche chimique, naturellement présidée par un Allemand. "La législation sur la protection des travailleurs pourrait enfin s'appliquer, puisque les entreprises qui utilisent de la chimie obtiendraient des informations qu'elles n'ont pas pour l'instant", estime Joël Decaillon, son secrétaire confédéral.

Syndicats et ONG espèrent qu'il restera quelque chose du projet après son premier examen au Parlement, puis au Conseil des ministres européens. Ils constatent avec amertume que, dans cette enceinte, ce sont les ministres de l'industrie qui statueront. Sous la présidence de Silvio Berlusconi, en octobre 2003, les chefs d'Etat et de gouvernement avaient dessaisi les ministres de l'environnement de cette compétence...

Rafaële Rivais

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