lundi, septembre 03, 2007

La mort des abeilles met la planète en danger

Les Echos 20/08/07
Les abeilles s'éteignent par milliards depuis quelques mois. Leurdisparition pourrait sonner le glas de l'espèce humaine.C'est une incroyable épidémie, d'une violence et d'une ampleurfaramineuse, qui est en train de se propager de ruche en ruche surla planète. Partie d'un élevage de Floride l'automne dernier, elle ad'abord gagné la plupart des Etats américains, puis le Canada etl'Europe jusqu'à contaminer Taiwan en avril dernier. Partout, lemême scénario se répète : par milliards, les abeilles quittent lesruches pour ne plus y revenir. Aucun cadavre à proximité. Aucunprédateur visible, pas plus que de squatter pourtant prompt àoccuper les habitats abandonnés.
En quelques mois, entre 60 % et 90 % des abeilles se sont ainsivolatilisées aux Etats-Unis où les dernières estimations chiffrent à1,5 million (sur 2,4 millions de ruches au total) le nombre decolonies qui ont disparu dans 27 Etats. Au Québec, 40 % des ruchessont portées manquantes.
En Allemagne, selon l'association nationale des apiculteurs, lequart des colonies a été décimé avec des pertes jusqu'à 80 % danscertains élevages. Même chose en Suisse, en Italie, au Portugal, enGrèce, en Autriche, en Pologne, en Angleterre où le syndrome a étébaptisé « phénomène «Marie-Céleste» », du nom du navire dontl'équipage s'est volatilisé en 1872. En France, où les apiculteursont connu de lourdes pertes depuis 1995 (entre 300.000 et 400.000abeilles chaque année) jusqu'à l'interdiction du pesticideincriminé, le Gaucho, sur les champs de maïs et de tournesol,l'épidémie a également repris de plus belle, avec des pertes allantde 15 % à 95 % selon les cheptels.
« Syndrome d'effondrement »Légitimement inquiets, les scientifiques ont trouvé un nom à lamesure de ces désertions massives : le « syndrome d'effondrement » -ou « colony collapse disorder ». Ils ont de quoi être préoccupés :80 % des espèces végétales ont besoin des abeilles pour êtrefécondées. Sans elles, ni pollinisation, et pratiquement ni fruits,ni légumes. « Trois quart des cultures qui nourrissent l'humanité endépendent », résume Bernard Vaissière, spécialiste despollinisateurs à l'Inra (Institut national de rechercheagronomique). Arrivée sur Terre 60 millions d'année avant l'homme,Apis mellifera (l'abeille à miel) est aussi indispensable à sonéconomie qu'à sa survie. Aux Etats-Unis, où 90 plantes alimentairessont pollinisées par les butineuses, les récoltes qui en dépendentsont évaluées à 14 milliards de dollars.
Faut-il incriminer les pesticides ? Un nouveau microbe ? Lamultiplication des émissions électromagnétiques perturbant lesnanoparticules de magnétite présentes dans l'abdomen des abeilles ?« Plutôt une combinaison de tous ces agents », assure le professeurJoe Cummins de l'université d'Ontario. Dans un communiqué publié cetété par l'institut Isis (Institute of Science in Society), une ONGbasée à Londres, connue pour ses positions critiques sur la courseau progrès scientifique, il affirme que « des indices suggèrent quedes champignons parasites utilisés pour la lutte biologique, etcertains pesticides du groupe des néonicotinoïdes, interagissententre eux et en synergie pour provoquer la destruction des abeilles». Pour éviter les épandages incontrôlables, les nouvellesgénérations d'insecticides enrobent les semences pour pénétrer defaçon systémique dans toute la plante, jusqu'au pollen que lesabeilles rapportent à la ruche, qu'elles empoisonnent. Même à faibleconcentration, affirme le professeur, l'emploi de ce type depesticides détruit les défenses immunitaires des abeilles. Par effetde cascade, intoxiquées par le principal principe actif utilisé -l'imidaclopride (dédouané par l'Europe, mais largement contestéoutre-Atlantique et en France, il est distribué par Bayer sousdifférentes marques : Gaucho, Merit, Admire, Confidore, Hachikusan,Premise, Advantage...) -, les butineuses deviendraient vulnérables àl'activité insecticide d'agents pathogènes fongiques pulvérisés encomplément sur les cultures.
Butineuses apathiquesPour preuve, estime le chercheur, des champignons parasites de lafamille des Nosema sont présents dans quantités d'essaims en coursd'effondrement où les butineuses, apathiques, ont été retrouvéesinfectées par une demi-douzaine de virus et de microbes.
La plupart du temps, ces champignons sont incorporés à despesticides chimiques, pour combattre les criquets (Nosema locustae),certaines teignes (Nosema bombycis) ou la pyrale du maïs (Nosemapyrausta). Mais ils voyagent aussi le long des voies ouvertes parles échanges marchands, à l'image de Nosema ceranae, un parasiteporté par les abeilles d'Asie qui a contaminé ses congénèresoccidentales tuées en quelques jours.
C'est ce que vient de démontrer dans une étude conduite sur l'ADN deplusieurs abeilles l'équipe de recherche de Mariano Higes installéeà Guadalajara, une province à l'est de Madrid réputée pour être leberceau de l'industrie du miel espagnol. « Ce parasite est le plusdangereux de la famille, explique-t-il. Il peut résister aussi bienà la chaleur qu'au froid et infecte un essaim en deux mois. Nouspensons que 50 % de nos ruches sont contaminées. » Or l'Espagne, quicompte 2,3 millions de ruches, est le foyer du quart des abeillesdomestiques de l'Union européenne.
L'effet de cascade ne s'arrête pas là : il jouerait également entreces champignons parasites et les biopesticides produits par lesplantes génétiquement modifiées, assure le professeur Joe Cummins.Il vient ainsi de démontrer que des larves de pyrale infectées parNosema pyrausta présentent une sensibilité quarante-cinq fois plusélevée à certaines toxines que les larves saines. « Les autoritéschargées de la réglementation ont traité le déclin des abeilles avecune approche étroite et bornée, en ignorant l'évidence selonlaquelle les pesticides agissent en synergie avec d'autres élémentsdévastateurs », accuse-t-il pour conclure. Il n'est pas seul àsonner le tocsin. Sans interdiction massive des pesticidessystémiques, la planète risque d'assister à un autre syndromed'effondrement, craignent les scientifiques : celui de l'espècehumaine. Il y a cinquante ans, Einstein avait déjà insisté sur larelation de dépendance qui lie les butineuses à l'homme : « Sil'abeille disparaissait du globe, avait-il prédit, l'homme n'auraitplus que quatre années à vivre. »
PAUL MOLGA
plus d'infos sur les pesticides icihttp://www.mdrgf.org